Les manifestations contre la
médiocrité des prestations de services comme l'approvisionnement en
eau, les installations sanitaires, la santé et l'éducation sont devenues
tellement omniprésentes en Afrique du Sud qu'elles ne sont quasiment
plus mentionnées par les médias. Toutefois, une nouvelle forme de
militantisme se développe : il s’agit de l'audit social. Le processus
donne à la population le pouvoir de surveiller la mise en œuvre des
programmes qui lui sont destinés et de s'assurer qu'ils ne sont pas
corrompus, interrompus ou mal gérés et qu'ils remplissent réellement
leurs fonctions. Ainsi, dans le township de Khayelitsha, au Cap, un
audit social de toilettes mobiles mené par un trio d'organisations non
gouvernementales (ONG) et de communautés touchées a révélé que le
fournisseur de ces toilettes avait manqué à ses obligations.
Selon Jared Rossouw, directeur adjoint de l’ONG Ndifuna Ukwazi (Osez savoir), "il
s'agit d'apprendre aux communautés à comprendre les données pour
qu'elles sachent ce pour quoi elles ont payé, pour qu'elles puissent
utiliser ces informations pour mener des audits et demander des comptes
au gouvernement." Selon lui toujours, plusieurs départements du gouvernement national sont disposés à promouvoir cette forme de "surveillance citoyenne des prestations de services". En
Inde, le gouvernement est davantage impliqué dans des audits sociaux.
L'ONG Samarthan, est la première à avoir entrepris un audit social dans
le pays, dans le but de concrétiser le National Rural Employment
Guarantee Act (une loi adoptée en 2005 par le gouvernement accordant aux
familles le droit à 100 jours de travail rémunéré par an). Les
résultats sont néanmoins mitigés – de nombreux audits ne sont réalisés
que "sur le papier", ne sont pas assez larges et leur qualité est
variable – ; mais petit à petit, une culture de la transparence et de la
redevabilité se crée.
Des audits similaires réalisés au Ghana et au
Mexique ont dévoilé les faiblesses des programmes gouvernementaux visant
à aider les populations défavorisées. Au Mexique, la campagne Subsidios
al Campo, de l'organisation Fundar, a révélé comment le programme du
gouvernement consistant à verser des subventions en espèces aux
agriculteurs dans le besoin ne profitait finalement qu'aux plus riches
d'entre eux. Cette campagne a conduit le gouvernement à mettre en place
de nouvelles règles pour apporter plus de transparence au processus et
limiter les risques de fraude. Au Ghana, l'organisation de
sensibilisation Social Enterprise Development Foundation (SEND-Ghana) a
découvert que le programme national de cantines scolaires n'était pas
mis en œuvre correctement. Grâce à ses efforts, les communautés
locales ont été impliquées dans le suivi du programme et cela a
également entraîné l'amélioration des services de base comme
l'approvisionnement en eau, les installations sanitaires, la santé et
l'éducation. Un autre exemple remarquable d'audit social, en Afrique
du Sud cette fois, est celui mené par la Treatment Action Campaign
(TAC), fondée en 1998. Ce sont en partie ses analyses qui ont contraint
le gouvernement à distribuer des antirétroviraux aux femmes enceintes
pour leur éviter de transmettre le VIH à leur futur enfant.
La
société civile peut jouer un rôle clé dans le suivi de l'utilisation des
budgets, mais les gouvernements doivent faire leur part en ouvrant
leurs livres de compte, en permettant aux citoyens de participer aux
décisions budgétaires et en réalisant leurs propres audits sur la
manière dont les fonds sont réellement dépensés. L'une des raisons pour
lesquelles les gouvernements n'ont pas atteint les Objectifs du
millénaire pour le développement est qu'ils n'ont pas utilisé les fonds
publics correctement, explique Vivek Ramkumar, directeur de la
sensibilisation internationale et de l'Open Budget Initiative du
Partenariat budgétaire international – IPB. Selon lui, l'approbation et
la culture de la confiance seront plus fortes lorsque les citoyens
seront consultés. "À l'échelle locale, précise-t-il, les
citoyens n'ont pas besoin d'avoir fait des études supérieures pour
savoir si les ressources sont utilisées correctement dans leur région."
L'IPB
publie un indice semestriel, classant 100 pays examinés en fonction du
degré d'ouverture de leur processus budgétaire. D'après l'indice 2012,
les pays dont le processus budgétaire est le plus ouvert sont la
Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni, la Suède, la Norvège
et la France. En bas de la liste se trouvent les pays riches en
ressources pétrolières : l'Arabie saoudite, la Guinée équatoriale, le
Myanmar et le Qatar. M. Ramkumar accuse la "malédiction du pétrole" qui
touche ces pays, tout comme d'autres qui sont dépendants de ressources
extractives, qui n'ont pas besoin de recevoir d'impôts de la population
et ont donc moins d'obligation de leur rendre des comptes. D'autres,
cependant, comme l'Afghanistan (dépendant de l'aide humanitaire), le
Mexique (qui dépend des hydrocarbures) et des pays du Moyen-Orient comme
la Jordanie et d'Afrique subsaharienne comme l'Ouganda ou l'Afrique du
Sud ont des résultats supérieurs par rapport à leurs pairs. Certaines
économies émergentes du Sud comme le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud et
l'Indonésie font également mieux que leurs équivalents dans le Nord
comme la Grèce, l'Espagne, l'Italie et le Portugal. Malgré les lents
progrès, les résultats de l'enquête de 2012 "donnent une piètre image
de la transparence des budgets, de la participation [à leur
élaboration] et de la redevabilité [des gouvernements]. La majorité des
pays étudiés ne donnent pas suffisamment d'informations concernant leur
budget et laissent peu de place au public pour participer à son
élaboration." Si le rythme des changements n'accélère pas, il faudra
au moins une génération à la plupart des pays pour rendre leur budget
transparent. "Cela pourrait se traduire par une génération d'occasions perdues et de ressources gaspillées."
IRIN (New York) – AllAfrica 19-08-2014